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Tout savoir sur la grippe

Encore aujourd’hui, on a tendance au jour le jour à confondre la grippe et le rhume qui ont des symptômes similaires, et à qualifier l’ensemble de « coup de froid ». D’ailleurs, le nom scientifique de la famille des virus de la grippe est Orthomyxoviridae influenza, influenza venant de l’italien « Influenza di freddo », soit l’influence du froid, car en effet, on les épidémies de grippe, c’est surtout en hiver.

Une épidémie, c’est une maladie qui frappe un grand nombre de personne en un temps restreint sur une zone géographique restreinte. La pandémie, c’est comme une épidémie, mais à une échelle plus large, voire dans le monde entier.

La grippe, ça fait un petit moment qu’on vit avec. Il y a 2 400 ans, Hippocrate lui-même a décrit pour la première fois les symptômes de la grippe humaine dans son ouvrage « Des épidémies », parlant notamment de fortes toux, de maux de gorges, de fièvres et de courbatures. D’autres épidémies décrites par des historiens antiques ressemblent, à posteriori, à des syndromes grippaux, même si le peu de traces qu’il nous reste de l’époque rend difficile l’interprétation de ces maladies comme étant réellement des grippes. Toutefois, depuis la renaissance, des descriptions plus systématiques par les médecins nous permettent d’estimer que l’humanité a fait face à plus ou moins trois pandémies de grippe par siècle.

Mais du coup, la grippe, elle est due à quoi ?
On ne va pas parler de l’époque où on attribuait l’origine des maladies aux miasmes voire aux dieux, sautons donc directement au milieu du XIXième siècle. En s’appuyant sur des travaux antérieurs, Pasteur et Koch découvrent que les bactéries, des organismes microscopiques, sont à l’origine de nombreuses maladies. Pendant longtemps, les médecins vont penser que la grippe est due à une infection bactérienne par Haemophilus influenzae, une bactérie commensale, c’est à dire retrouvée normalement chez l’être humain, mais dont certaines souches peuvent être pathogènes et causer des troubles respiratoires, des otites et même des méningites. Avant de se rendre compte qu’il s’agissait en réalité d’un virus. Mais remontons un peu en arrière…

Historique en deux temps d’un virus mignon tout plein

La grippe Russe de 1889

En 1889 apparaît une pandémie grippale que l’on appellera la grippe russe. En 4 mois, celle-ci fera le tour de la planète, et atteindra son paroxysme aux États-Unis 70 jours après son départ en Russie. Pour cette époque où les voyages ne s’appréhendaient pas comme on le fait aujourd’hui, c’est plutôt rapide ! Toutefois, avec une mortalité variant de 1 à 3 pour 1 000 personnes atteintes, elle ne sera pas la pandémie grippale la plus meurtrière de l’histoire…

La propagation de la pandémie sur l'Europe se fait en 4 mois, de l'est vers l'ouest, du premier décembre 1889 en Russie à fin mars 1890 en Angleterre;
Propagation de la pandémie grippale de 1889 à travers l’Europe (frontières de 2006) durant 6 périodes successives. Les points rouges représentent le pic de mortalité à la période concernée et leur taille est proportionnelle à la mortalité enregistrée. Les points verts représentent les villes une fois le pic de mortalité passé. Extrait de Valleron et al., 2010.

La grippe espagnole de 1918

En cette année 1918, l’Europe, en guerre depuis 4 ans, voit le bout du tunnel avec l’arrivée des forces expéditionnaires américaines permettant de relancer les fronts enlisés dans les tranchées. Il s’agit là d’une période particulièrement sombre de l’histoire, et aux conditions de vie relativement précaires : l’économie était investie dans la guerre totale et il fallait produire des armes coûte que coûte, les soldats cohabitaient dans des tranchées insalubres, et les mouvements de troupes et de matériel permettaient de déplacer rapidement des agents pathogènes à de grandes distances.
Vous me voyez venir là, ou pas ?

En quelques données, la pandémie grippale de 1918, c’est :

La mortalité, généralement sous les 10 pour 1000 monte au mois d'octobre 1918 à 40 voire 60 pour les plus grandes villes européennes et américaines.
Nombre de morts pour 1 000 habitants, par semaine dans les villes indiquées de juin 1918 à mars 1919. Extrait de Nicholls, 2006.
    • Entre 500 millions et 1 milliard de personnes contaminées (soit jusqu’à 50% de la population mondiale).
    • Mortalité d’environ 3% des infectés, soit 30 fois plus qu’une grippe classique.
    • 50 à 100 millions de morts, soit plus que la grande guerre, militaires et civils confondus.
    • Elle a tué plus de gens en un an que la peste noire en quatre (en nombre absolu, pas en pourcentage de population mondiale).
    • 400 000 français en sont morts.
    • Certaines îles polynésiennes ont perdu 1 cinquième de leur population.
    • 60% de la population inuite est décédée.

C’est, d’ailleurs, des suites de cette catastrophe sanitaire à l’échelle mondiale qu’est né le Comité d’Hygiène de la Société des Nations, ancêtre de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Les gouvernements, catastrophés par l’ampleur de la pandémie en ces temps de guerre, firent bien des tentatives pour endiguer la maladie et soigner les soldats. Ils tentèrent notamment de les vacciner, mais dirigeaient alors leurs vains efforts contre la bactérie Haemophilus influenzae qu’ils pensaient responsable de la pathologie, les virus n’étant alors pas connus. Il faudra attendre 1935 pour qu’un vaccin soit développé à base de virus atténués.
A titre informatif, des chercheurs ont reconstitué ce virus à des fins de recherche scientifique à partir de prélèvements réalisés sur des Inuits morts et congelés dans le permafrost.

Biologie de la grippe

Ces grippes, toutes les mêmes ?

OK, on sait maintenant quel groupe est responsable de la grippe, mais est ce que les différentes grippes se ressemblent ?
Mon garçon, si tu savais !

Il existe quatre types de virus influenza, originalement nommés A, B, C et D. Nous nous attarderons plus spécifiquement sur le premier, mais d’abord passons rapidement en revue leurs hôtes naturels puisque plusieurs vertébrés peuvent potentiellement être infectés par les virus de la grippe :

  • Le type A, c’est le responsable de la plupart des épidémies et pandémies annuelles et celui qui a la plus grande variété d’hôtes possibles (humain, chauve-souris, oiseaux, cochons, furets, éventuellement les chats…)
  • Ceux du type B sont moins connus car moins étudiés, de récentes études suggèrent qu’ils peuvent accompagner les épidémies de virus A et également porter atteinte à la santé des plus jeunes et âgés. Ses seuls hôtes connus sont l’humain et le phoque. La contamination entre les espèces est… plutôt rare, disons.
  • Les virus du type C sont très différents des deux premiers d’un point de vue structural. Ils peuvent infecter principalement les humains et les porcs.
  • Le type D a été identifié très récemment et il serait un proche cousin séparé des virus de type C il y a quelques centaines d’années. Il infecterait principalement les porcs.

En résumé, les trois premiers types peuvent infecter l’humain, les deux premiers sont responsables des épidémies, et surtout le type A qui a le plus d’hôtes possibles.

Il est fait de quoi ce virus ?

Comme j’ai pu l’écrire précédemment, un virus c’est un tout petit mini rikiki assemblage de protéines et d’acides nucléiques (Hein, de quoi ? Qu’est-ce qu’il dit ? 😯 ). Les acides nucléiques, soit de l’ADN, soit de l’ARN en fonction du virus, c’est le « plan » que le virus va utiliser pour se répliquer. Dans le cas du virus de la grippe, il va s’agir d’ARN, nous verrons un peu plus bas pourquoi cela est important pour lui. Le virus de la grippe, en sortant de la cellule qui l’a produit, emporte avec lui un bout de la membrane de la cellule pour se cacher du système immunitaire, on dit qu’il est « enveloppé ».

Le virus de la gripe est "enveloppé" car il emporte une partie de la membrane cellulaire en bourgeonnant.
Virus de la grippe espagnole au microscope électronique à transmission.

Bon, concentrons nous à partir de maintenant sur le type A, de loin le plus fréquent, estimé le plus dangereux et surtout le mieux connu.

A la surface du virus, nous retrouvons deux protéines très bien étudiées, l’hémagglutinine et la neuraminidase.
L’hémagglutinine est indispensable pour infecter nos cellules. Elle va s’attacher à l’acide sialique, une molécule présente à la surface de nos cellules, notamment celles des voies respiratoires, trachée et poumons. Ceci explique pourquoi c’est le siège de nombreux symptômes de la grippe. Du coup, quand un inconnu vous éternue dans la bouche, il vous expulse quelques milliers de virus de la grippe qui vont directement arriver dans vos voies respiratoires et s’y installer. Une fois que le virus sera attaché à une de nos cellules, elle va essayer de le gober, le faisant entrer dans une sorte de sac appelée endosome. Elle tentera de le digérer en rendant ce sac acide et en y amenant des enzymes de destruction appelées protéases. Cela va être utile au virus. L’effet combiné des protéases qui vont couper l’hémagglutinine et de l’acidité vont enclencher un processus qui va aboutir à la fusion de la membrane de l’endosome et de celle du virus. Dès lors le contenu du virus sera relâché librement dans le cytoplasme de la cellule. Exactement ce que le virus voulait !
On connait 18 hémagglutinines différentes et les mutations de cette protéine peuvent rendre un virus très très violent : si une mutation rend l’hémagglutinine plus facile à couper par les protéases, le virus pourra infecter la cellule plus facilement mais aussi plus de types de cellules, car l’acide sialique se trouve aussi à la surface d’autres cellules de notre organisme.
La neuraminidase, quant à elle, permet de détacher l’hémagglutinine de l’acide sialique. Cela peut-être utile pour qu’un virus nouvellement construit puisse sortir de la cellule qui l’a créé, mais aussi parce que le mucus qui recouvre nos voies respiratoires est assez riche en acide sialique, agissant comme un leurre pour le virus. On en connait 11 types différents.

A l’intérieur de la particule virale, c’est à dire du « corps » du virus, on retrouve 8 « morceaux » d’ARN. Lorsque le virus va réussir à rentrer dans une de nos cellules, ces morceaux d’ARN vont être une première fois copiés par une protéine apportée par le virus lui-même, puis la cellule va prendre ces copies pour ses propres ARN et s’en servir pour reconstruire le virus…
Certains d’entre vous peuvent se demander, si les animaux, les plantes et les bactéries utilisent l’ADN comme support génétique, pourquoi certains virus se tournent-ils vers l’ARN? Excellente question. Ces différentes étapes de copie sont sujettes à erreur. Ces erreurs sont en réalité des mutations que vont subir le virus. Certaines vont être handicapantes et lui nuire mais d’autres lui permettront par exemple de devenir plus virulent et de rendre inefficace certains vaccins.

En résumé, le virus aura utilisé l’acide sialique de nos cellules et les protéases qui étaient sensées le détruire pour infecter cette cellule, puis il détourne les mécanisme de synthèse de la cellule pour se répliquer, quitter la cellule en bourgeonnant à travers la membrane de la cellule, en enlevant encore une fois un bout, on tousse dans bus, et on recommence depuis le début.

Les petits noms de virus de la grippe

Les virus de type A sont nommés en fonction de leur Hemagglutinine, Neuraminidase, leur origine géographique, et l'année d'isolation.
Nomenclature des virus influenza de type A.

Comme dit un chouilla plus haut, on connait 18 types d’hémagglutinines et 11 types de neuraminidases. Ces deux protéines étant facilement détectables pour les biologistes et très impliqués dans la virulence du virus, on a choisi de classer des sous-types d’influenza type A en fonction de leur hémagglutinine et neuraminidase, donnant par exemple Hémagglutinine(H)5/Neuraminidase(N)1. Ça vous dit rien ça, H5N1 ? Ben maintenant vous savez d’où ça vient.

On va encore préciser un peu duquel on parle en ajoutant l’endroit et l’année où on l’a trouvé et voilà ! Un beau nom de virus.

Ma voisine a un cochon qui éternue souvent, il va me contaminer ?

Oui… et non.
Comme on l’a vu plus haut, il existe différents types d’hémagglutinine. En fonction de quelle hémagglutinine on trouve à la surface du virus, il est capable d’infecter différents hôtes. Pour rappel, ce sont les protéases de nos cellules qui coupent l’hémagglutinine et permettent au virus d’entrer dans la cellule. Et certaines hémagglutinines ont besoin des protéases d’oiseaux, d’autres de cochons, d’autres d’humains et d’autres enfin peuvent être coupées par les protéases de toutes ces espèces. Les neuraminidases jouent un rôle important aussi en permettant au virus de se détacher de la cellule qui les a produit.

Du coup, les virus H1N1 et H3N2 notamment, sont capables d’infecter les humains et les cochons par exemple.
Toutefois ces phénomènes de contamination inter-espèces restent très rares, même s’ils sont favorisés par des conditions d’hygiène faible, la proximité des animaux et des humains dans les maisons, etc. Ce sont notamment des conditions de vie que l’on retrouve dans les pays d’Asie du sud est, région d’origine de bien des pandémies grippales.

Qu’est ce qui cause les épidémies et pandémies ?

Il existe de nombreux mécanismes de défense de notre organisme contre ce virus. Je vous ai décrit un cas « idéal » d’infection virale, mais vous vous doutez que la cellule est pas super chaude pour se laisser infecter. En réalité, il faut pas mal de virus pour réussir une infection car même si le virus réussit à infecter et « détourner » une cellule, notre système immunitaire veille au grain et n’hésitera pas à exploser la cellule pour détruire les virus se trouvant dedans. Mais alors, si on est si bien protégé, pourquoi on se retape une pandémie tous les ans ou presque ?

Notre système immunitaire, lorsqu’il rencontre un nouveau pathogène met de prime abord en place une réponse dite innée qui est peu spécifique de l’ennemi et doit le contenir si elle ne parvient pas à le détruire. En parallèle, il met environ une à deux semaines à mettre en place une réponse extrêmement précise et efficace qu’il pourra relancer très vite s’il rencontre à nouveau cet adversaire, c’est le principe du vaccin. Et aussi la durée d’une bonne grippe. Deux mécanismes permettent au virus de la grippe d’échapper au système immunitaire et au vaccin assez fréquemment (d’où un vaccin par an pour l’adapter) :

  • Un acide aminé, c’est un peu comme une brique de lego, la cellule en assemble plusieurs dans un ordre précis et on obtient une protéine. Lorsque le virus se réplique dans une cellule, les erreurs commises vont lui permettre changer 2 acides aminés pour 1 000 environ. Du coup, cela va changer la protéine finale et empêcher l’effet de mémoire du système immunitaire dont je vous ai parlé un peu plus haut. On appelle ce mécanisme la dérive antigénique.
  • L’autre mécanisme, qui cause généralement les pandémies les plus catastrophiques, s’appelle « réarrangement génétique ». Le principe est assez simple : si deux virus de la grippe infectent une même cellule, les 8 morceaux d’ARN seront répartis au pif dans les virus nouvellement construit. Un peu de l’un et un peu de l’autre. C’est ainsi qu’une cellule infectée par un sous-type H1N1 et un H2N2, elle pourra alors produire des virus H1N1, H2N2, H1N2 et H2N1. Imaginons le cas particulier d’un cochon infecté par un virus humain et un virus aviaire, il pourra alors produire des virus  qui sont des croisements entre les deux, avec des caractéristiques des virus atteignant les oiseaux mais pouvant infecter les humains par exemple.

 

Références

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  • L’hémagglutinine, la neuraminidase et l’acide sialique — Site des ressources d’ACCES pour enseigner la Science de la Vie et de la Terre.

 Propriétés

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