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Pourquoi tout le monde ne répond-il pas aux vaccins ?

Le système immunitaire, dont les mécanismes sont fortement conservés chez tous les humains et les animaux qui nous sont proches évolutivement, est constitués de milliers de composants qui, ensemble, travaillent à protéger notre organisme des dangers qu’il peut rencontrer. Toutefois, il existe des différences subtiles selon les individus… Par exemple, pourquoi certaines personnes ne réagissent pas à certains vaccins ?

Quelle est la part de génétique ?

Dans un article intéressant, Brodin et ses collaborateurs, en 2015, ont étudié des jumeaux monozygotes et dizygotes (façon péteuse de dire vrais et faux jumeaux) et comment leurs systèmes immunitaires réagissent à un même stimulus. Si l’ensemble des facteurs qui régissent la réponse immunitaire est génétique, on devrait avoir des réponses strictement identiques chez les vrais jumeaux et on peut estimer qu’on s’attend à avoir des réponses 50% similaires chez de faux jumeaux… Or il semble que ce ne soit pas le cas.Une seringue vaccinale

Sur les différents paramètres étudiés, incluant notamment la fréquence des différentes cellules immunitaires, les cytokines (des SMS entre cellules immunitaires) et autres protéines immunitaires retrouvées dans le sang, cette équipe a trouvé que les trois quarts des paramètres sont dominés par des facteurs « non héritables » et, dans un peu plus de la moitié des cas, ils n’ont même pas détecté de d’influence de la génétique.
Par ailleurs, les systèmes immunitaires de jumeaux âgés se ressemblent moins que ce de deux jumeaux jeunes, suggérant que les paramètres peuvent diverger de plus en plus au long de la vie des personnes étudiées.
Bien que les conclusions définitives que l’on puisse tirer de cette étude soient limitées, elle soulève plusieurs points intéressants…

Des facteurs génétiques, oui mais lesquels ?

On va toucher un peu à de l’immunologie de niveau université ici, mais pas de panique, tout sera simplement expliqué, ce sera facile à comprendre.

Quand la détection est moins efficace

Une réponse immunitaire est une cascade d’évènements ultra-complexes qui s’affectent mutuellement. Lorsqu’un pathogène pénètre votre organisme lors d’une coupure de la peau, dans vos poumons lorsqu’un voisin vous éternue à la figure dans le bus ou après une injection vaccinale, des cellules spécialisées dites « présentatrices d’antigènes » vont prélever ce pathogène, le découper en morceaux et en montrer les différents antigènes au reste du système immunitaire. Pour montrer ces antigènes, ces cellules vont les mettre sur des sortes de vitrines appelées « complexe majeur d’histocompatibilité de type 2 » ou CMHII pour les intimes, et les gènes qui les codent s’appellent HLA chez l’humain. Seulement voilà, il n’y a pas deux personnes ici-bas qui ont la même vitrine. Nous possédons tous des CMHII différents par brassage génétique (mélange de ceux de papa et maman qui n’ont déjà pas les mêmes) et parce qu’il existe de nombreuses mutations, même très petites, qui sont fréquentes dans la population et que l’on appelle « polymorphismes ».

Le fait de tous avoir des CMHII différents implique qu’ils n’ont pas tous la même facilité à montrer tous les antigènes. Je peux, par exemple, mieux présenter un antigène de la rougeole, et vous un antigène de la grippe. Au niveau de l’espèce, c’est très utile, tous avoir des vitrines différentes diminue fortement la chance qu’une bactérie ou un virus parvienne à tous nous tuer. Au niveau de l’individu, cela peut signifier que vous résisterez mieux à la grippe, et moi à la rougeole.

Plusieurs études ont montré qu’en fonction de vos HLA, vous répondrez mieux, ou moins bien, voire pas du tout à certains vaccins comme celui de la grippe, de la rougeole, de la variole ou encore de l’hépatite B.

Quand ça ne capte pas

Admettons que vos cellules présentatrices d’antigènes aient fait leur job et que votre système immunitaire soit maintenant au courant qu’un ennemi est dans la place et que le branle-bas de combat doive être sonné.

Afin que toutes les branches du système immunitaire communiquent entre elles, non seulement pour que certaines cellules donnent des ordres aux autres, mais aussi pour indiquer où se trouve le danger et pour se concerter sur les tactiques à mettre en place pour vaincre au mieux l’envahisseur, de nombreux messagers vont être envoyés dans la circulation sanguine. On les appelle des cytokines, et il s’agit de molécules qui vont être émises par une cellule et vont aller se fixer sur le récepteur à la surface d’autres cellules pour leur délivrer un message.

Ces cytokines, il en existe énormément. Certaines agissent sur plusieurs récepteurs, certains récepteurs sont communs à plusieurs cytokines, c’est tout un système extrêmement complexe et pourtant très organisé qui va orienter la réponse immunitaire, la renforcer dans la période critique, la calmer une fois le danger passer et même stimuler la réparation des tissus.

Seulement voilà, ici aussi, de nombreuses cytokines et de nombreux récepteurs présentent des polymorphismes dans la population… Ce qui veut dire qu’une même cytokine peut fonctionner légèrement mieux, moins bien ou un peu différemment selon les individus, même pour un même antigène. Certaines cytokines, comme les Interleukines-6 et 12, l’inferon-β1 et encore l’interferon-γ

Certains polymorphismes de l'Interferon gamma diminuent la séroconversion à l'influenza virus
Taux de séroconversion (production d’anticorps) après exposition à l’influenza virus en fonction d’un polymorphisme de l’interferon gamma

(voir graphique ci dessous), peuvent présenter des mutations, et certaines de ces mutations diminuent l’efficacité du vaccin pour la grippe par exemple. De même pour les récepteurs aux cytokines.

Quand le frein à main est cassé

Si toutefois le système immunitaire est averti et que les cellules arrivent à peu près à communiquer entre elles, il leur reste encore une ou deux étapes à régler avant de s’en sortir pour sûr. D’autres cellules immunitaires vont être dépêchées sur le lieu de l’intrusion et vont y rester quelques temps, interagir entre elles, suite à quoi d’autres présentatrices d’antigènes retourneront vers les ganglions lymphatiques pour continuer d’avertir les autres cellules.

Seulement voilà, dans le cas du vaccin HBV, une mutation dans un gène codant pour une molécule permettant de « s’attacher » dans le tissu peut limiter l’efficacité du vaccin car les cellules auront du mal à rester sur place.
De même, dans le cas de la rougeole, une mutation dans une molécule permettant aux cellules d’interagir l’une avec l’autre directement, sans l’aide des cytokines, semble diminuer l’efficacité du vaccin.

Quand c’est encore un peu plus compliqué que cela…

D’autres mécanismes encore plus complexes régulent la réponse immunitaire, tels que les micro-RNA qui contrôlent l’expression de gènes, la présentation sur les CMHI qui sont des vitrines spéciales… Tous ces différentes mécanismes sont soumis à l’évolution et donc à l’accumulation de mutations au fil des générations qui peuvent les rendre moins efficaces dans certains cas, plus dans d’autres ou ne rien changer…
Je tiens à écrire clairement que les mutations dont j’ai parlé plus haut ne sont PAS des mutations dites délétères. Ces molécules fonctionnent très bien, mais elles limitent un peu le fonctionnement du vaccin. Sans doute le fait de porter ces mutations confère-t-il un avantage en d’autres circonstances. Il s’agit du mécanisme même de l’évolution : plusieurs versions du gène existent, si l’une est mauvaise, elle sera supprimée car le porteur aura des problèmes de santé.

Et les facteurs non-héritables alors ?

Ces facteurs sont bien plus complexes à étudier. D’abord il faut trouver quels facteurs prendre en compte, puis réussir à les étudier scientifiquement, en les quantifiant et en pouvant faire des statistiques dessus.

Quid de l’âge des patients ?

Les deux tranches de vie extrêmes ont des particularités immunologiques qui peuvent expliquer que les vaccins « accrochent » difficilement sur eux.

Les nouveaux nés ont un système immunitaire qui est très orienté vers la réponse dite cellulaire. Sans entrer dans le détail, disons que la production d’anticorps n’est pas leur fort, même s’ils sont capables de le faire et que leur système immunitaire est tout à fait fonctionnel. Ce point toutefois, peut potentiellement expliquer pourquoi le vaccin ROR doit être administré une seconde fois, un peu plus tard, pour toucher plus de 95% des gens.

Les personnes âgées, d’un autre côté, subissent de plein fouet le vieillissement de leur système immunitaire. Leur répertoire de cellules capables de reconnaître différents pathogènes s’effondre, les cellules naïves prêts à maturer sont réduites à peau de chagrin, les cellules mémoires sont moins diversifiées, la réponse anticorps se monte relativement efficacement mais dure moins longtemps et les cellules support de la réponse immunitaire ont tendance à faire la sieste et rendent la vie difficile aux cellules productrices d’anticorps. Dans les faits cela aboutit à une excellente immunité contre des pathogènes connus, mais à une difficulté à s’adapter aux nouveaux venus et aux antigènes qui nécessitent une revaccination fréquente car ils ne se multiplient pas (toxine diphtérique, tétanique…). En gros, il s’agit d’un système très spécialisé pour vivre dans l’environnement qu’il a toujours connu, mais peu capable de s’adapter. Une belle preuve s’il en est que nous vivons avec de nombreux compte-à-rebours intégrés et que l’humain n’est pas fait pour être immortel.
Par ailleurs, une récente étude a montré que chez les sujets âgés, des modifications épigénétique (changement de l’expression des gènes sans changer l’ADN) s’accumulent et semblent limiter l’efficacité des vaccins.

L’existence de pathologies à risque

Je vais prendre des cas d’école que sont les allergies et le diabète de type II chez les personnes obèses. Ces principes peuvent être étendus à toutes les maladies entrainant des inflammations chroniques même légères.

Les allergies sont des réactions inappropriées du système immunitaire face à des antigènes qui ne sont pas dangereux. Ces réactions sont principalement des réactions dites de type 2 : caractérisée, entre autres, par la forte production de certains types d’IgG. Certaines études suggèrent que cette tendance pourrait augmenter l’efficacité des vaccins à induire des anticorps. Mais qui dit plus d’anticorps ne dit pas nécessairement de meilleurs anticorps et les personnes lourdement allergiques prennent des traitements immuno-modulateurs dont l’effet sur la mémoire vaccinale à long terme doit être étudié plus avant.

Concernant le diabète, il s’agit d’une pathologie connue pour induire une inflammation systémique légère, et relativement constante chez le patient. Toutefois ces personnes ont tendance à voir un système immunitaire plus tourné vers la tolérance et la répression des réponses immunitaires. Du coup, ces patients souffrent plus fréquemment d’infections, mais ont aussi tendance à moindre répondre aux vaccins pour l’hépatite A, B, la grippe et la toxine tétanique.

L’immuno-suppression…

  • Certains patients ayant subi récemment une greffe ou une transplantation et traités par immunosuppresseurs,
  • Lles patients ayant des pathologies auto-immunes et suivant ces mêmes traitements,
  • Des personnes atteintes de cancer et étant sous rayons ou chimio-thérapies,
  • Les patients atteints du SIDA…

Ce sont autant de traitements/infections qui altèrent profondément le système immunitaire et peuvent l’empêcher de réagir à un vaccin et donc de monter une réponse convenable.

Le stress étant également un facteur connu pour causer des immuno-dépression (bonjour le zona), il a été suggéré qu’il peut également affecter la réponse au vaccin. Toutefois nous ne disposons pas de données scientifiques permettant de statuer sur ce fait.

Des facteurs peu clairs…

D’autres études suggèrent également que la grossesse, sur le tard, diminue l’efficacité des vaccins. Ce qui est possible dans la mesure où le corps de la femme est fortement anti-inflammatoire et profondément tolérogène afin de ne pas rejeter l’embryon/fœtus qui n’est, après tout, qu’à moitié du soi et à moitié un corps étranger.

L’effet de l’allaitement a été suggéré quelques fois comme un facteur pouvant limiter l’efficacité des vaccins, les anticorps maternels étant accusés d’éliminer trop efficacement les antigènes pour que le système immunitaire du bébé puisse en bénéficier. Toutefois les données issues de nombreuses expériences ne vont pas en faveur de cette théorie, certaines études suggérant même un effet bénéfique de l’allaitement sur l’efficacité vaccinale.

Enfin, surtout dans le cas du vaccin contre la grippe, la pré-existence d’anticorps contre des souches proches pourraient limiter l’efficacité des nouveaux vaccins. En effet, le système immunitaire étant paresseux, il pourrait se contenter d’anticorps un peu moins efficaces pour éviter la dépense énergétique que représente une toute nouvelle réponse face à ce nouvel antigène légèrement différent. de nombreuses études sur le sujet sont en cours et l’affaire est donc classée à suivre pour l’instant.

Conclusion

La réponse immunitaire est un mécanisme hautement complexe, prenant en compte un grand nombre de variables, aussi bien génétiques qu’environnementales. De nombreuses études sont en cours afin de déterminer à l’avance d’efficacité d’une réponse immunitaire, et notamment la réussite d’une vaccination, mais du chemin reste à parcourir, d’autant qu’il semble inenvisageable, en pratique, de séquencer l’ADN de chaque patient afin d’en étudier des chances de réussite de vaccination.

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